Lors d’un précédent article (« Vie professionnelle, vie privée : divorce ou nuit de noces »), nous avions mis en avant que d’un point de vue neurologique il n’existe pas de frontière entre vie professionnelle et vie personnelle : « …on ne peut laisser au seuil de notre bureau ce qui vient de la maison. Et réciproquement. » En fait, la charge mentale, le temps d’occupation du processeur qu’est notre cerveau, représente l’accumulation des tâches et ennuis de ces deux univers. Elle représente l’ensemble des opérations « mentales », des pensées liées à des faits réelles ou imaginaires, et les sentiments et émotions qui y sont attachés. Cette charge mentale peut très vite se transformer en « surcharge ».
Cette dernière touche plus facilement les femmes que les hommes… et pas pour des raisons de constitution (n’est-ce pas les machos…). En effet, de nos jours, ce sont encore les femmes qui planifient et organisent la sphère privée. Les hommes sont souvent de simples exécutants…
Prenons l’exemple de Sabine, cadre du service sinistres dans une société d’assurance. Ce matin, elle arrive au bureau. Ses épaules sont voutées, elle a des hombres sous les yeux et aucun sourire à offrir à ses collègues. Certaines mauvaises langues diraient même qu’elle fait un peu la tête…
Kevin, son manager, n’a pas vraiment perçu ces signaux non-verbaux. De toute façon, il n’est pas psychologue pour deux sous… Lors de sa “tournée” matinale, il lui assigne un certain nombre de tâches : appeler Dumordant, celui qui a la dent dure, pour lui rappeler que l’échéance de renvoi de son dossier de sinistre a été prorogée de 15 jours… puis ne pas oublier d’envoyer le rapport d’expertise pour le sinistre de la maison Trucmuche… et surtout calculer la police de Jean Bon…
Sabine n’a pas tout écouté, elle n’a pas tout retenu. Elle est ici mais aussi ailleurs. Ce matin, elle a quitté la maison en catastrophe. Elle a laissé les consignes à la nounou, tout en rappelant à son mari qu’ils étaient invités à dîner demain… Elle sait ce qui l’attend ce soir. Sa mère a fait une chute dans l’escalier, et s’est cassée la jambe. Elle est aux urgences, mais en sortira ce soir. Il faudra donc : aller la chercher, s’occuper d’elle, trouver une personne capable de venir l’aider à partir de lundi (repas, toilette, …), puis mettre en place la présence d’aides-soignantes, d’infirmières et puis une femme de ménage. Ah, oui, j’oubliais aussi, les courses !!! … Penser à inscrire les choix de son fils de 17 ans sur Parcoursup… S’assurer que la quittance de loyer a été envoyée… et les impôts…
Sabine voit s’allonger, devant ses yeux, une multitude de tâches, qui en engendrent d’autres. Et comme il y en a beaucoup, elles les oublient. Elle doit alors recommencer mentalement à établir sa liste tout en passant un coup de fil à Dumordant, sans oublier de calculer la police de Jean Bon. Sabine est en surcharge d’informations et de tâches à venir.
Que doit-elle faire ? Bien sûr, prendre des notes, écrire, se poser quelques minutes pour faire le tri, respirer sont des conseils de bon sens. Mais ce n’est pas si simple… D’autant que son manager, Kevin, commence à s’impatienter. Il vient d’ailleurs de lui faire plusieurs remarques dans ce sens… Kevin ne fait qu’ajouter de la pression à la pression, et déclencher le mécanisme fatal… De la charge à la surcharge, il n’y a qu’un pas… et de la surcharge au burn-out…
Alors Kevin, plutôt que d’être le manager oppresseur, prend le costume de « servant leader »… Fait preuve d’empathie. Par exemple : « Comment vas-tu Sabine, ce matin ? Il me semble que ce n’est pas comme d’habitude… ». « Comment puis-je t’aider pour te permettre de t’organiser ?… veux-tu prendre une journée pour régler le problème de ta mère ? ».
Le manager peut agir sur la surcharge mentale des personnes qui travaillent avec lui/elle. Il en a même le devoir si on considère que le stress est source de contre-performance ou pire, de manifestations pathologiques… Mais pour cela, il doit lâcher le sacro-saint « ses problèmes relèvent de la sphère privée, je ne veux pas jouer les assistantes sociales ! ». Cette phrase est souvent bonne excuse pour s’éviter une discussion qui touche aux émotions, à l’affecte, domaines dans lesquels certains managers ne se sentent pas à l’aise…